CHAPITRE UN

Les croassements d’une corneille m’avaient tenue éveillée toute la journée  – comme vous le savez, chez les vampires, nuit et jour sont inversés. Cela dit, le manque de sommeil était bien le moindre de mes problèmes... Tous mes copains étaient fâchés avec moi. Décidément, moi, Zoey Redbird, j’étais la reine incontestée du royaume des Amis en colère.

 

Perséphone, la grande jument alezane qui m’appartiendrait tant que je vivrais à la Maison de la Nuit, tendit le cou et frotta ses naseaux contre ma joue. Je l’embrassai tout en continuant de la brosser. M’occuper d’elle m’aidait toujours à réfléchir et à me sentir mieux. Et j’en avais drôlement besoin...

Bon, j’ai réussi à éviter la Grande Confrontation pendant deux jours, mais ça ne peut pas durer. Je sais qu’ils sont à la cafétéria en ce moment même, en train de dîner tous ensemble, en m’ignorant complètement.

Perséphone renifla et se remit à mâcher son foin.

¾ Oui, moi aussi, je les trouve idiots. D’accord, je leur ai menti, mais juste par omission. Je leur ai caché des trucs pour leur bien.

Je soupirai. Si je ne leur avais pas parlé de Lucie, devenue un zombi, c’était pour les épargner. En revanche, je devais reconnaître que c’était pour mon propre bien que je leur avais caché mon histoire avec Loren Blake, poète lauréat des vampires, professeur à la Maison de la Nuit.

¾ Mais, quand même, ils me jugent trop sévèrement.

Perséphone renifla de nouveau ; moi, je soupirai de nouveau. Zut. Je ne pouvais pas les éviter plus longtemps.

Après avoir caressé ma jument une dernière fois, j’allai dans la sellerie pour ranger les brosses et les étrilles. Je respirai l’odeur de cuir et de cheval qui m’apaisait toujours. En apercevant mon reflet dans la fenêtre, je passai machinalement les doigts dans mes cheveux pour essayer de les dompter. Cela faisait à peine deux mois que j’avais été marquée et que j’avais emménagé à la Maison de la Nuit ; pourtant, mes cheveux étaient déjà très longs et très épais. Ce n’était que l’une des nombreuses transformations qui s’étaient produites en moi. Certaines étaient invisibles, comme mon affinité avec les cinq éléments ; d’autres, au contraire, sautaient aux yeux, comme les tatouages uniques qui encadraient mon visage en de délicates spirales exotiques, puis descendaient  – à la différence de ceux de tous les autres vampires  – dans mon cou, sur mes épaules, le long de ma colonne vertébrale et, plus récemment, autour de ma taille, un détail que seul mon chat, Nala, et notre déesse, Nyx, connaissaient.

À qui aurais-je bien pu les montrer ?

¾ Hier, tu n avais non pas un, mais trois petits copains, me dis-je en fixant mes yeux sombres avec un demi-sourire cynique. Mais tu as réglé ça, pas vrai ? Résultat, tu n’as plus de petit copain, et plus personne ne te fait confiance.

Enfin, à part Aphrodite, qui avait décampé deux jours plus tôt parce qu’elle était retournée à sa condition d’humaine, et Lucie, qui l’avait suivie. C’est elle qui avait été la cause de ce changement, survenu lorsque j’avais formé un cercle pour la transformer de morte vivante terrifiante en vampire à la marque rouge et qu’elle était redevenue elle-même.

¾ Quoi qu’il en soit, j’ai réussi à mettre un sacré bazar dans la vie de tous ceux qui comptent pour moi. Bien joué, Zoey !

Ma lèvre se mit à trembler ; les yeux me piquaient. Je me ressaisis : pleurer ne servirait à rien. Si le contraire avait été vrai, mes amis et moi nous serions réconciliés depuis longtemps. Il me fallait les affronter et essayer d’en finir avec cette histoire.

La nuit de décembre était fraîche et humide. Les lampes à gaz qui bordaient l’allée menant des écuries au bâtiment principal vacillaient, entourées de petits halos de lumière jaune qui leur conféraient une beauté surnaturelle. Le campus de la Maison de la Nuit semblait tout droit sorti d’une légende du Moyen Age. «J’adore cet endroit, pensai-je. C’est mon foyer. Ma place est ici. Je vais me réconcilier avec mes amis, et tout ira bien. »

Je me mordillais la lèvre en me demandant comment j’allais m’y prendre lorsque mes pensées furent interrompues par un sinistre battement d’ailes au-dessus de ma tête. Un frisson me parcourut. Je levai les yeux. Il n’y avait rien, à part le ciel noir et les branches nues des chênes. Je frissonnai : la nuit, douce et humide, me parut tout à coup sombre et malveillante.

Sombre et malveillante ? N’importe quoi ! Ce n’était sans doute que le bruit du vent dans les arbres.

Je me remis à marcher. Je n’avais fait que quelques pas quand cela recommença. Le battement mystérieux déplaça l’air, dont la température semblait avoir chuté de dix degrés. Je levai machinalement le bras pour me protéger, imaginant des chauves-souris ou des araignées, ou d’autres créatures terrifiantes.

Je ressentis une vive douleur à la main. Paniquée, je poussai un cri et la serrai contre ma poitrine. Le bruit était de plus en plus fort, le froid de plus en plus intense. Quand je réussis enfin à bouger, je fis la première chose qui me vint à l’esprit : la tête baissée, je courus vers la porte la plus proche, celle de la salle de jeux.

Une fois à l’intérieur, je claquai l’épais battant et, haletante, je me retournai pour regarder par la petite vitre au milieu. La nuit ondulait, noire et menaçante. Que se passait-il ? Presque sans m’en rendre compte, je murmurai :

— Feu, viens à moi. J’ai besoin de toi.

L’élément répondit immédiatement, m’entourant de sa chaleur apaisante et de son odeur de bois brûlé.

— Dehors, repris-je. Envoie ta chaleur dehors.

Le feu m’obéit et alla se répandre à l’extérieur. J’entendis un craquement, comme si de la glace était en train de fondre. Le brouillard tourbillonna, épais et trouble, et je me sentis prise de vertige. Puis l’étrange obscurité commença à se dissiper ; bientôt, la nuit redevint calme et familière.

Que s’était-il passé ?

Je regardai ma main endolorie. Des zébrures rouges marquaient ma peau, causées, aurait-on dit, par des griffes. Je frottai ces marques qui me brûlaient.
Alors, grâce au sixième sens que m’avait donné la déesse, je sus que je ne devais pas rester là, toute seule. Le froid glacial qui avait envahi la nuit et cette chose fantomatique qui m’avait poursuivie et blessée m’avaient emplie d’un terrible pressentiment. Pour la première fois depuis longtemps, j’avais vraiment peur. Pas pour mes copains, pas pour ma grand-mère ou mon petit ami humain, ni pour ma mère, avec qui je ne m’entendais plus. J’avais peur pour moi. Il fallait que je rejoigne au plus vite mes amis.

Sans cesser de me frotter la main, je forçai mes jambes à se mettre en mouvement, préférant affronter la déception et la colère de ceux qui avaient remplacé ma famille plutôt que cette chose obscure qui m’attendait, tapie dans les ténèbres.

 

J’hésitai un instant devant la porte ouverte de la cafétéria de l’école, observant les élèves qui bavardaient avec animation. J’aurais tellement voulu être une novice comme les autres, sans pouvoirs extraordinaires et sans les responsabilités qui allaient avec. Pourquoi ne pouvais-je pas être juste normale ?

Alors je sentis sur ma peau la douce caresse du vent, réchauffé par une flamme invisible. Je perçus l’odeur de l’océan, bien qu’il n’y en ait aucun près de Tulsa, en Oklahoma, et celle de l’herbe fraîchement coupée. J’entendis des chants d’oiseaux, et je fus remplie d’une joie silencieuse en pensant à la puissance de mes affinités avec les cinq éléments : l’air, le feu, l’eau, la terre et l’esprit.

Non, je n’étais pas normale ; je n’étais semblable à nulle autre, novice ou vampire, et j’avais tort de souhaiter le contraire. Je devais entrer et essayer de faire la paix avec mes copains. Je me redressai et parcourus la salle du regard en cessant de m’apitoyer sur mon sort. Je les localisai sans peine, assis à la même table que d’habitude.

J’inspirai profondément avant de traverser la salle, répondant d’un sourire ou d’un hochement de tête à ceux qui me saluaient. Tout le monde me traitait avec respect et crainte. J’en déduisis que mes amis n’avaient pas dit du mal de moi aux autres. Cela signifiait aussi que Neferet n’avait pas lancé une campagne de dénigrement contre moi.

J’attrapai une petite salade et un soda, puis, m’agrippant si fort à mon plateau que mes phalanges blanchirent, je me dirigeai vers la table et m’assis à ma place, à côté de Damien.

Personne ne me regarda, mais le bavardage de mes amis s’arrêta aussitôt, preuve qu’ils étaient en train de parler de moi.

— Salut, dis-je au lieu de m’enfuir et de fondre en larmes, comme j’en avais envie.

Silence.

— Alors, quoi de neuf ? demandai-je à Damien, sachant que mon copain gay, sensible et poli, était le maillon le plus faible de cette conspiration.

Malheureusement, ce furent les Jumelles qui me répondirent.

— Que dalle, n’est-ce pas, Jumelle ? dit Shaunee.

— C’est bien vrai, Jumelle, que dalle, confirma Erin, vu qu’on est tellement peu fiables qu’on ne nous dit rien. Tu savais que nous étions complètement indignes de confiance ?

— Je viens de le comprendre, Jumelle. Et toi ?

— Moi aussi.

En réalité, elles n’étaient pas du tout jumelles. Shaunee Cole était une Américaine d’origine jamaïcaine, couleur caramel, qui avait grandi sur la côte Est. Erin Bâtes était une superbe blonde née à Tulsa. Elles s’étaient rencontrées après avoir été marquées, le jour où elles étaient entrées à la Maison de la Nuit. Elles s’étaient liées immédiatement, se moquant de la géographie et de la génétique ; depuis, elles étaient inséparables. Et, à cet instant précis, elles me regardaient avec les mêmes yeux furieux.

Bon sang, elles me fatiguaient. Et elles m’énervaient, aussi.

Oui, j’avais eu des secrets. Oui, je leur avais menti. Mais j’y avais été obligée. Du moins, en grande partie. Et leur attitude commençait sérieusement à me taper sur les nerfs.

— Merci pour ce commentaire spirituel ! Maintenant, je vais poser la question à quelqu’un qui ne me répondra pas en version stéréo de l’horrible Blair dans Gossip Girl.

Alors quelles s’apprêtaient à se lancer dans une diatribe incendiaire, je me tournai vers Damien :

— Ce que je voulais vraiment savoir, quand j’ai demandé « quoi de neuf ? », c’est si vous aviez remarqué quelque chose d’étrange, de fantomatique et de terrifiant dehors ? Quelque chose qui fait un bruit de battement d’ailes ?

Damien était un garçon grand et très mignon, avec une belle ossature et des yeux marron, d’ordinaire chaleureux et expressifs. Mais, ce jour-là, ils étaient froids et méfiants.

— Un truc fantomatique qui fait un bruit de battement d’ailes ? répéta-t-il. Désolé, je n’ai aucune idée de ce dont tu parles.

Mon cœur se serra ; je me consolai cependant en me disant qu’il avait au moins répondu à ma question.

— En revenant de l’écurie, j’ai été attaquée par ce... truc. C’était froid, et ça m’a griffé la main.

Je tendis la main pour la lui montrer. Il n’y avait plus rien ! Génial.

Shaunee et Erin eurent un rictus méprisant. Damien, lui, parut attristé. J’allais leur jurer que des traces sanguinolentes étaient encore là quelques instants plus tôt lorsque Jack est arrivé.

Il s’arrêta net en m’apercevant.

— Oh ! Euh..., Salut, Zoey, Je lui souris :

— Salut, Jack.

— Je... je ne m’attendais pas à te voir, bafouilla-t-il. Je croyais que tu étais toujours, euh... eh bien... euh.

Il se tut, mal à l’aise.

— Toujours cachée dans ma chambre ? lui soufflai-Il hocha la tête.

— Non, dis-je avec fermeté. C’est terminé.

— Waouh ! Grande nouvelle, commença Erin. Avant que Shaunee puisse en rajouter une couche, un rire sensuel s’éleva derrière nous, et nous nous retournâmes tous.

Aphrodite entra dans la salle tel un sex-symbol, riant et faisant les yeux doux à Darius, l’un des Fils d’Erebus les plus beaux, sans oublier de rejeter les cheveux en arrière. Cette fille était douée pour faire plusieurs choses en même temps ! J’étais quand même choquée de la voir si nonchalante et sûre d’elle : cela faisait à peine deux jours qu’elle avait failli mourir et que la Marque avait disparu de son front.

Ce qui signifiait qu’elle était redevenue humaine.

[La Maison de la Nuit 04] Rebelle
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